Ils sont nombreux,
toujours à triple sens, évidemment, et relativement éparpillés
au sein d'un récit par ailleurs touffu et signifiant.
Je vais tenter de les énumérer, sans trop les couper de
leur contexte.
Le premier élément
symbolique, bien évidemment, c'est la Rose, qui donne son titre
au roman.
Cette Rose que Clément Marot chantera trois siècles plus
tard, dans son poème:
"
De la Rose envoyée pour Estreines ":
La belle Rose
à Venus consacrée
L'Oeil & le Sens de grand plaisir pourvoit
Si vous diray, Dame qui tant m'agrée,
Raison pourquoy de rouges on en voit.
Ung jour Venus son Adonis suyvoit
Parmy Jardins pleins d'Espines & Branches
Les Pieds tous nudz & les deux Bras sans manches ;
Dont d'ung Rosier l'Espine luy mesfeit.
Or estoient lors toutes les Roses blanches,
Mais de son sang de vermeilles en feit.
De ceste Rose ay ja faict mon proffit
Vous estrenant, car, plus qu'à aultre chose,
Vostre Visage en doulceur tout confict
Semble à la fresche & vermeillette Rose.
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Blanche ou rouge,
la rose est la fleur symbolique par excellence, et plus spécialement
pour les alchimistes, qui intitulent d'ailleurs souvent leurs traités
: Rosier des philosophes. C'est dire que, dans cette acception,
cueillir la rose au rosier signifie trouver la pierre philosophale, c'est-à-dire
atteindre la Lumière de la Connaissance.
Le processus alchimique comporte trois étapes principales, que
l'on appelle l'uvre au noir, l'uvre au blanc ou petit uvre
et l'uvre au rouge, ou grand uvre. La rose blanche est
liée au petit uvre et la rose rouge au grand uvre.
Autrement dit, la rose symbolise le processus alchimique, et la rose rouge
plus particulièrement l'obtention de la pierre philosophale, et
par extension, la pierre elle-même. Donc, tout récit dans
lequel une rose tient une place importante peut être soupçonné
de dissimuler un sens alchimique.
Mais bien sûr, ce seul élément n'est pas suffisant
pour apporter une certitude.
Le second élément
est l'Amour.
L'Amour symbolise la Foi qui anime les Alchimistes, leur certitude que
le chemin qu'ils ont choisi est le bon, leur persévérance
à travers les obstacles, les difficultés, les échecs,
la ruine parfois ; leur amour, en un mot, pour l'uvre entreprise.
Leur science est d'ailleurs constamment appelée Science d'Amour,
et leurs traités, également, parfois, "Miroir des Amoureux",
ce qui nous rappelle la citation ci-dessus.
Comme troisième
élément nous trouvons donc le miroir, d'où jaillissent
soit la vie soit la mort, et qui est symbolisé par la fontaine.
Deux fontaines sont décrites au cours du roman.
Au début, au centre du jardin carré de Déduit, est
la Fontaine de Narcisse. Au fond de son bassin se trouvent deux pierres
de cristal qui reflètent, suivant le côté où
on les regarde, une moitié ou l'autre du jardin. Cette première
fontaine, si trouble que " quiconque y met la tête pour se
mirer n'y voit goutte ", c'est le but du premier uvre, le dissolvant
universel, la coction au cours de laquelle le mercure et le soufre seront
unifiés par le sel et, par la putréfaction, mèneront
à l'uvre au noir.
Ceux qui liront
le Roman remarqueront peut-être qu'il y est question, à certain
endroit, d'un troupeau de moutons blancs et noirs qui doivent être
séparés. Si cela les intéresse, ils pourront aller
voir au musée de Cluny (Ce tableau se trouvait auparavant
à l'église Saint-Merri.) à Paris, un tableau
représentant Sainte-Geneviève gardant ses moutons, et qui
n'est pas sans rapport avec ce symbole.
A la fin, est la Fontaine de Vie, située au centre du Parc de l'Agneau,
qui a la forme d'un cercle parfait. Et au fond est placée une escarboucle
admirable, dont les vertus sont longuement décrites. Cette escarboucle
flamboyante, c'est évidemment la Pierre Philosophale, située
au centre du Paradis Terrestre ouvert à l'Adepte, et dont, comme
l'a signalé René Alleau, " il n'a jamais été
indiqué qu'il eut été définitivement perdu
".
Quant au passage
du carré au cercle, de la table carrée rationnelle à
la table ronde mystique, il nous rappelle que seule la corde à
douze nuds des druides permet, comme le firent tous les compagnons
constructeurs, de résoudre la quadrature du cercle, dont la
solution mathématique reste introuvable. |
Cf
La cathédrale de Chéops
et la Pyramide de Chartres
Tout comme l'alchimiste
doit laisser l'uvre s'accomplir avec l'aide du temps, en respectant
le rythme et la durée des cycles cosmiques, Guillaume de Lorris
fait dire à Bel-Accueil :
" Je serais
bien quinaud si j'avais ôté le bouton de son rosier...
Laissez-le croître et s'amender. Je ne voudrais le cueillir
pour rien au monde, tant je l'aime ". |
Ceci nous dit clairement que l'uvre doit être poursuivie jusqu'à
son terme pour être accomplie, que le compost évolue, et
qu'il ne doit être ôté de l'athanor qu'après
maturité.
Quelques vers plus loin, l'Amant ajoute d'ailleurs :
"Lorsque
je me fus approché de la rose, je la trouvai un peu grossie,
et remarquai qu'elle avait crû depuis que je ne l'avais vue
de près ; elle s'élargissait par en haut ; je vis avec
plaisir qu'elle n'était pas ouverte au point de découvrir
la graine, mais qu'elle était encore enclose de ses feuilles
qui se tenaient droites et remplissaient tout le dedans. Pleine et
épanouie, elle était, Dieu la bénisse!, plus
belle et plus vermeille qu'auparavant. Je m'ébahis de la merveille
et je sentis qu'Amour m'enlaçait de ses liens plus fort que
jamais." |
Derrière l'allégorie sexuelle évidente, le processus
alchimique est bien caché, mais aussi bien présent.
Un
autre élément me renforce dans ma conviction de la signification
symbolique du roman.
Pour protéger
la rose contre l'amant, Jalousie l'enferme à double tour :
" Il est
temps maintenant que je vous dise ce que fit Jalousie. Il n'y a dans
le pays maçon ou pionnier qu'elle ne mande, et elle fait creuser
tout d'abord à grand frais autour des rosiers un fossé
très large et très profond, puis les maçons élèvent
au-dessus un mur de carreaux taillés... Le mur forme un carré
bien régulier, et chacun des pans a dix toises... Au dedans,
au milieu de l'enceinte, les maîtres de l'uvre construisent
avec grande habileté une tour puissante, large et haute...
La tour est toute ronde ; il n'en est pas de plus riche ni de mieux
aménagée au-dedans..." |
Cette forteresse est à l'image du Louvre primitif de Philippe-Auguste,
dont la signification symbolique est la suivante : l'enceinte carrée
évoque un domaine terrestre et matériel, tandis que la tour,
dans sa verticalité, est le lien entre le ciel et la terre où
elle est plantée, rejoignant ici très clairement le symbolisme
de l'arbre, autre Symbole souvent utilisé par les Alchimistes.
Au Chap VII du Roman,
à Raison qui l'exhorte à quitter le dieu Amour pour suivre
ses conseils, l'Amant répond :
" Dame,
je ne puis ; il me faut servir mon maître qui me fera mille
fois plus riche, quand il lui plaira, car il doit me donner la Rose,
si je sais bien la mériter. Dans ce cas, je n'aurai pas besoin
d'autres richesses... " |
Allusion évidente, bien qu'au troisième degré de
lecture, à l'acquisition de la "science d'amour"
qui s'obtient par l'intelligence du cur, par opposition à
la science de Raison "la pauvrette" qui ne mène
qu'à la richesse matérielle. C'est l'accomplissement de
l'Oeuvre qui donne la Richesse absolue, au plan spirituel.
La fin du roman peut
paraître claire : l'allégorie érotique y est si évidente
qu'il semble superflu d'y chercher autre chose. On ne saurait pourtant
douter qu'il y soit question, sous la description à peine voilée
des efforts et des laborieuses réitérations qu'accomplit
l'amant pour déflorer sa partenaire, et mener à bonne fin
l'acte d'amour, d'une besogne moins profane.
Voici comment l'auteur lui-même évoque les travaux d'Hercule
qui constituent la phase difficile entre toutes de la préparation
que l'artiste doit accomplir au printemps, sous le signe du Bélier
:
" Il me
fallut l'attaquer fortement, souvent heurter, souvent faillir. Si
vous m'aviez vu behourder, il vous serait souvenu d'Hercule quant
il voulut tuer Cacus : trois fois il assaillit la porte, trois fois
y renonça et s'assit dans la vallée, exténué,
pour reprendre haleine, tant il avait fait d'efforts. Et moi qui me
donnais tant de mal pour forcer la palissade que je suais à
grosses gouttes, j'étais autant qu'Hercule, sinon d'avantage
; je finis cependant par apercevoir une voie étroite par où je pourrais passer, mais il me fallut briser le palis " |
Pour les personnes que cela intéresse, signalons
que cette allégorie herculéenne et alchimique est représentée,
dans Paris, au sus et au vu de tous. A l'extrémité occidentale
de l'île Saint-Louis, un immeuble de pierres blanches fait face
à l'île de la Cité. Les deux extrémités
de sa façade sont ornées du même bas-relief deux fois
répété, représentant Hercule tuant le Centaure.
Et le roman se termine
ainsi :
"Avant
que je partisse de ces lieux où je fus encore demeuré
volontiers, je cueillis à grande joie la fleur du beau rosier
feuillu, et j'eus la rose vermeille. Alors il fit jour et je m'éveillai."
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Cette fin si soudaine, si abrupte, après tant de digressions apparentes,
rappelle avec une surprenante puissance d'évocation la surprise
que tout adepte doit ressentir en parachevant l'obtention de la fameuse
pierre philosophale, dont je crois utile de rappeler qu'elle symbolise
la lumière de la Connaissance.
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